Le vétéran qui accuse les Khmers rouges
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Le vétéran n'a rien oublié des agissements des Khmers rouges. « Ces hommes ont tué avant d'avoir pris le pouvoir à Phnom Penh. Je l'ai vu ici même », raconte-t-il. Ici, c'est une clairière, occupée par une trentaine de baraques, qui sert de chef-lieu de district à environ 5 000 habitants répartis dans la jungle alentour. Et de raconter son étonnant parcours. La tragédie cambodgienne commençait « Le Parti communiste cambodgien s'est installé ici au milieu des années 1960, poursuit-il. Mais c'était avant que Pol Pot n'en prenne le contrôle. Vers 1967, ce fut Ieng Sary qui devint le chef de la région. Il était plutôt populaire. La société était assez militarisée, puisque nous étions en guerre sous les bombardements américains, mais le peuple avait de quoi manger. » Puis arriva Pol Pot, qui venait d'arracher à ses mentors communistes vietnamiens la permission d'établir dans cette province de Ratanikiri une base khmère. Celle-ci deviendra effectivement la première « zone libérée » échappant au contrôle du régime de Lon Nol, à partir de 1971, sous les noms de code « Bureau 102 » ou « K-5 ». « Dès 1970, ce fut la bagarre pour le pouvoir entre anciens Pol Pot et nouveaux Pol Pot », résume le combattant, qui avait alors été fait administrateur civil du district. « De 1970 à 1975, ils se sont mis à s'entre-tuer en se traitant de traîtres. Ieng Sary s'est mis du côté de Pol Pot. Il y a dans la région des charniers qui remontent à cette époque-là », alors que la guerre américaine faisait rage. « Et la population a été progressivement réduite à l'esclavage. D'ailleurs, beaucoup de gens avaient fui, emmenant famille et bétail. Taveng était devenue une ville vide de civils. » Kham Thoeun, comme d'autres, prit sa décision : s'enfuir. Un mois de marche dans la jungle vers le nord, à l'été 1975, et il se retrouva à Pakse, au Laos. Il y trouva un petit boulot de garçon de café. La guerre était finie. Les communistes avaient gagné la partie en Indochine. Sous Pol Pot, la tragédie du Cambodge commençait. « Puis en 1978, des conseillers vietnamiens sont venus au Laos rassembler d'anciens soldats cambodgiens pour partir s'entraîner au Vietnam et former une armée contre Pol Pot. Nous fûmes 300 volontaires. » Volontaires ? « Absolument ! Nous voulions en finir avec Pol Pot et ses proches. Ils avaient tué tant de monde. » Ils participèrent à l'entrée des troupes vietnamiennes qui allaient mettre fin, le 7 janvier 1979, à l'expérience totalitaire du Kampuchea démocratique. « C'est mon dernier acte politique » « Si c'était à refaire, je le referais, ajoute Kham Thoeun. Je veux absolument aller à Phnom Penh. Je veux savoir ce qui est dit au sujet de ces hommes. Comment le tribunal les traite, les condamne. C'est mon dernier acte politique. » Tout le monde n'est pas aussi passionné à Taveng. Thie Sokun, la tenancière de l'une des deux gargotes du village, n'a pas « le temps de s'occuper de ce procès ». D'ailleurs, dit-elle, « nous n'avons aucune information. C'est une affaire qui ne regarde que Phnom Penh ». Elle est pourtant chef adjoint du village. Kham Thoeun, pour services rendus au pays, a, quant à lui, obtenu une maison qu'il a ensuite revendue pour payer ses soins médicaux. Il s'est installé chez des neveux. Au cours de toutes ces années de combat, il n'a jamais rencontré Pol Pot ou aucun des grands chefs Khmers rouges. @ 2 007 Le Monde – Francis DERON – (Distribué par The New York Times Syndicate) |
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