Depuis plusieurs années, le Tonlé Bassac ne cesse de grignoter un peu plus la berge sur laquelle vivent les habitants du village de Daem Sleng, en périphérie de Phnom Penh. Nombreux sont ceux qui ont perdu leurs terres et sont aujourd'hui réduits à la misère.
Une vingtaine d'habitations sont menancées par la prochaine crue (Khem Sovannara)
Une vingtaine d'habitations sont menancées par la prochaine crue (Khem Sovannara)Doucement bercé par le mouvement du hamac dans lequel il est assis, Chhim Mao, 80 ans, regarde fixement les quelques mètres de terre qui sépare sa cabane du Tonlé Bassac, dans le village de Daem Sleng, quartier Chhbar Ampeuv II, à Phnom Penh. Mètre après mètre, année après année, le fleuve se rapproche un peu plus de sa frêle habitation, faite de planches et de tôles. Depuis plus de dix ans, la berge est grignotée par les eaux et à chaque nouvelle crue, plusieurs mètres de terrain s’effondrent, contraignant les habitants à reculer un peu plus dans les terres. Et cette année encore, une vingtaine d’habitations, comme celle de Chhim Mao, sont menacées par un nouvel effondrement. Le phénomène est récurrent, mais les autorités demeurent sourdes aux appels de ces habitants pauvres dont les seuls abris, de modestes cabanes, peuvent sombrer à tout moment.
Installé dans ce quartier depuis une vingtaine d’années, Chhim Mao sait ce qui l’attend si rien n’est fait pour consolider la berge. Il y a encore quelques années, il possédait un terrain et une maison, explique-t-il en pointant du doigt un piquet qui émerge au beau milieu du fleuve, le squelette d’une de ses premières habitations qui s’est effondrée et a été emportée par les eaux. Il a ensuite été contraint de louer une maison, qu’il a lui-même démontée à chaque nouvel affaissement de la berge. “Les autorités n’ont jamais rien fait. Elles ont simplement noté le nom des victimes en promettant de chercher des terrains libres. Mais nous n’avons vu aucun résultat”, déplore le vieil homme. Alors, Chhim Mao, qui n’est plus en âge de travailler, scrute le fleuve, guettant le moindre signe pour pouvoir démonter à temps sa cabane. Mais cette fois, il n’a plus aucune marge de manœuvre, le terrain qu’il loue s’étant réduit comme peau de chagrin. “Je vais essayer de louer une maison un peu plus loin dans les terres, mais je vais avoir du mal à trouver quelqu’un qui demande un loyer bas, comme l’actuel propriétaire. C’est vraiment difficile ici. D’une année à l’autre, je ne pense qu’à trouver un autre endroit où vivre. La nuit, je n’arrive pas à dormir sur mes deux oreilles, surtout en cette saison quand le vent souffle ou qu’il se met à pleuvoir. Le grand problème pour moi aujourd’hui, c’est d’être sans terre et sans abri, raconte-t-il avec émotion. Je me sens humilié : je ne suis pas seulement pauvre, je suis misérable.”
Prak Roath, 40 ans, connaît le même sort. Elle aussi garde les yeux braqués sur le fleuve, observant tristement les quelques piquets d’une maison qu’elle occupait il y a encore trois ans, aujourd’hui sous les flots. Les larmes aux yeux, elle raconte : “J’avais économisé environ 400 dollars pour acheter ce terrain et cette maison et enfin devenir propriétaire. J’ai pu y vivre pendant quatre ans seulement. Et maintenant, je suis de nouveau locataire. C’est injuste et profondément humiliant”. Pour cette mère de famille, cette érosion n’est pas uniquement l’œuvre de la nature : “Les vagues et les remous provoqués par les bateaux à moteur, de plus en plus nombreux, jouent un rôle à mon avis. Et de l’autre côté du fleuve, des compagnies ont commencé à creuser du sable”.
Yeay Pay, âgée de 63 ans, surnommée par les villageois “la grand-mère solitaire”, a elle aussi perdu son terrain. Aujourd’hui elle vit avec le strict minimum dans un minuscule abri recouvert d’une bâche de plastique que les voisins l’ont aidé à consolider. Dans une extrême précarité, Yeay Pach se refuse pourtant à quitter les lieux. “Je suis tout de même contente de vivre ici. Même si c’est la misère, il y a de la joie, de la vie, des enfants qui jouent, des voisins à qui parler. Je ne veux pas être enfermer dans une maison de briques dans laquelle on ne voit rien. Je veux mourir dans ce quartier. C’est le destin. Je ne suis pas révoltée contre ce sort.”
Une de ses voisines, âgée de 47 ans, enceinte de son neuvième enfant, est loin d’être aussi sereine. Elle loue pour vingt dollars par mois une petite maison, elle aussi menacée d’effondrement. “Chaque nuit, je cogite pour savoir comment et où déménager. Mais comment louer une maison en ville alors que je n’arrive même pas à payer le moins cher des loyers?”, questionne-t-elle
timidement.
Cette maman reçoit régulièrement l’aide de la Communauté des pauvres de Phal Andèt, dont Lon Thol est le chef. Mais les dons alimentaires ne résolvent en rien le problème de l’affaissement des berges. “228 familles sont membres de cette communauté, explique Lon Thol. Mais je ne sais pas combien ont été victimes de l’effondrement des berges… Tout ce que je peux dire c’est que, depuis 1979, des centaines de mètres ont été grignotés. Et le facteur principal d’appauvrissement dans ce village, c’est l’affaissement des terrains. S’il n’y avait pas ce problème, les gens auraient de quoi se nourrir. Mais maintenant, la plupart sont locataires et payent leurs loyers avec l’argent autrefois destiné à leur remplir l’estomac.” Face à l’indifférence des autorités, les membres de la communauté ont décidé de réagir : selon Lon Thol, ils songent aujourd’hui à se cotiser pour acheter un terrain collectif, comme certaines communautés l’ont déjà fait. Mais la tâche est loin d’être aisée pour des familles qui ont déjà du mal à joindre les deux bouts.
Le chef du village, Khieu Chuong, reconnaît son impuissance face à ce problème. Il dit avoir alerté la municipalité. Celle-ci, bien que se disant préoccuppée du sort des 1 130 familles qui vivent là, a affirmé ne pas disposer de moyens suffisants pour résoudre un tel problème. “Chaque année, trente à quarante familles qui étaient propriétaires de terrains au bord de la berge deviennent locataires”, affirme le chef du village. Pour lui, il s’agit cependant d’un phénomène naturel, dû au tassement de l’île de Koh Pich, en face, et non à l’exploitation du sable par une société privée. La municipalité de Phnom Penh n’a en tout cas pas mené d’étude sur le sujet. Le vice-gouverneur Pa Socheatavong a promis aux villageois qu’après la construction d’un pont sur Koh Pich, la municipalité songerait à renforcer la berge de leur côté. Aucune date ne leur a toutefois été avancée. En attendant, dès la prochaine saison des pluies, une vingtaine de familles se retrouveront à nouveau sans terrain.
Ung Chansophea
Installé dans ce quartier depuis une vingtaine d’années, Chhim Mao sait ce qui l’attend si rien n’est fait pour consolider la berge. Il y a encore quelques années, il possédait un terrain et une maison, explique-t-il en pointant du doigt un piquet qui émerge au beau milieu du fleuve, le squelette d’une de ses premières habitations qui s’est effondrée et a été emportée par les eaux. Il a ensuite été contraint de louer une maison, qu’il a lui-même démontée à chaque nouvel affaissement de la berge. “Les autorités n’ont jamais rien fait. Elles ont simplement noté le nom des victimes en promettant de chercher des terrains libres. Mais nous n’avons vu aucun résultat”, déplore le vieil homme. Alors, Chhim Mao, qui n’est plus en âge de travailler, scrute le fleuve, guettant le moindre signe pour pouvoir démonter à temps sa cabane. Mais cette fois, il n’a plus aucune marge de manœuvre, le terrain qu’il loue s’étant réduit comme peau de chagrin. “Je vais essayer de louer une maison un peu plus loin dans les terres, mais je vais avoir du mal à trouver quelqu’un qui demande un loyer bas, comme l’actuel propriétaire. C’est vraiment difficile ici. D’une année à l’autre, je ne pense qu’à trouver un autre endroit où vivre. La nuit, je n’arrive pas à dormir sur mes deux oreilles, surtout en cette saison quand le vent souffle ou qu’il se met à pleuvoir. Le grand problème pour moi aujourd’hui, c’est d’être sans terre et sans abri, raconte-t-il avec émotion. Je me sens humilié : je ne suis pas seulement pauvre, je suis misérable.”
Prak Roath, 40 ans, connaît le même sort. Elle aussi garde les yeux braqués sur le fleuve, observant tristement les quelques piquets d’une maison qu’elle occupait il y a encore trois ans, aujourd’hui sous les flots. Les larmes aux yeux, elle raconte : “J’avais économisé environ 400 dollars pour acheter ce terrain et cette maison et enfin devenir propriétaire. J’ai pu y vivre pendant quatre ans seulement. Et maintenant, je suis de nouveau locataire. C’est injuste et profondément humiliant”. Pour cette mère de famille, cette érosion n’est pas uniquement l’œuvre de la nature : “Les vagues et les remous provoqués par les bateaux à moteur, de plus en plus nombreux, jouent un rôle à mon avis. Et de l’autre côté du fleuve, des compagnies ont commencé à creuser du sable”.
Yeay Pay, âgée de 63 ans, surnommée par les villageois “la grand-mère solitaire”, a elle aussi perdu son terrain. Aujourd’hui elle vit avec le strict minimum dans un minuscule abri recouvert d’une bâche de plastique que les voisins l’ont aidé à consolider. Dans une extrême précarité, Yeay Pach se refuse pourtant à quitter les lieux. “Je suis tout de même contente de vivre ici. Même si c’est la misère, il y a de la joie, de la vie, des enfants qui jouent, des voisins à qui parler. Je ne veux pas être enfermer dans une maison de briques dans laquelle on ne voit rien. Je veux mourir dans ce quartier. C’est le destin. Je ne suis pas révoltée contre ce sort.”
Une de ses voisines, âgée de 47 ans, enceinte de son neuvième enfant, est loin d’être aussi sereine. Elle loue pour vingt dollars par mois une petite maison, elle aussi menacée d’effondrement. “Chaque nuit, je cogite pour savoir comment et où déménager. Mais comment louer une maison en ville alors que je n’arrive même pas à payer le moins cher des loyers?”, questionne-t-elle
timidement.
Cette maman reçoit régulièrement l’aide de la Communauté des pauvres de Phal Andèt, dont Lon Thol est le chef. Mais les dons alimentaires ne résolvent en rien le problème de l’affaissement des berges. “228 familles sont membres de cette communauté, explique Lon Thol. Mais je ne sais pas combien ont été victimes de l’effondrement des berges… Tout ce que je peux dire c’est que, depuis 1979, des centaines de mètres ont été grignotés. Et le facteur principal d’appauvrissement dans ce village, c’est l’affaissement des terrains. S’il n’y avait pas ce problème, les gens auraient de quoi se nourrir. Mais maintenant, la plupart sont locataires et payent leurs loyers avec l’argent autrefois destiné à leur remplir l’estomac.” Face à l’indifférence des autorités, les membres de la communauté ont décidé de réagir : selon Lon Thol, ils songent aujourd’hui à se cotiser pour acheter un terrain collectif, comme certaines communautés l’ont déjà fait. Mais la tâche est loin d’être aisée pour des familles qui ont déjà du mal à joindre les deux bouts.
Le chef du village, Khieu Chuong, reconnaît son impuissance face à ce problème. Il dit avoir alerté la municipalité. Celle-ci, bien que se disant préoccuppée du sort des 1 130 familles qui vivent là, a affirmé ne pas disposer de moyens suffisants pour résoudre un tel problème. “Chaque année, trente à quarante familles qui étaient propriétaires de terrains au bord de la berge deviennent locataires”, affirme le chef du village. Pour lui, il s’agit cependant d’un phénomène naturel, dû au tassement de l’île de Koh Pich, en face, et non à l’exploitation du sable par une société privée. La municipalité de Phnom Penh n’a en tout cas pas mené d’étude sur le sujet. Le vice-gouverneur Pa Socheatavong a promis aux villageois qu’après la construction d’un pont sur Koh Pich, la municipalité songerait à renforcer la berge de leur côté. Aucune date ne leur a toutefois été avancée. En attendant, dès la prochaine saison des pluies, une vingtaine de familles se retrouveront à nouveau sans terrain.
Ung Chansophea
CS 24-04-2007
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