En mai 2006, Koh Kong Sugar Industry, une compagnie appartenant à l’oknha et sénateur Ly Yong Phat, s’installait sur une concession de 10 000 hectares dans la province de Koh Kong. Un an après, les 400 villageois chassés des terres qu’ils cultivaient vivent dans la misère.Le terrain autrefois exploité par ces familles est aujourd'hui désertique (UCh)Sré Ambel, province de Koh Kong – En 2006, l’Oknha et sénateur Ly Yong Phat obtenait une concession économique de 90 ans sur un terrain de 10 000 hectares dans la commune de Chi Khor Leu. En mai dernier, la compagnie de l’Oknha, Koh Kong Sugar Industry, délogeait avec l’aimable complicité des autorités locales près de 400 villageois vivant sur ces terres. Les familles de trois villages qui vivaient modestement de la culture de mangues, d’anacardiers, de mangoustans ou de pastèques se sont retrouvées du jour au lendemain privées de terres et de moyens de subsistance.
Un an plus tard, le vaste terrain ressemble à une zone semi-désertique. Les cultures des villageois ont été arrachées, la terre retournée, et on aperçoit au loin quelques jeunes pousses de cannes à sucre au milieu des camions et des excavateurs. Des policiers militaires en armes quadrillent le pourtour du champ, empêchant tout intrus d’y pénétrer. Non loin de là, dans les trois villages dépossédés de leurs terres, des cris de désolation accueillent les visiteurs. On pourrait presque se croire dans une zone fraîchement bombardée, une terre défigurée remplie de désespoir.
“Ils tuent nos bêtes”
Les gardiens de Koh Kong Sugar Industry, qui sont tous gendarmes ou militaires, ont reçu pour consigne de ne laisser personne, journalistes, villageois ou membres d’ONG, pénétrer sur cette nouvelle “propriété privée”. Mais leurs ordres ne s’arrêtent pas là : la compagnie a prévenu les villageois que si leur bétail s’aventurait sur ses platebandes, ils devraient débourser 400 000 riels par tête pour les récupérer, faute de quoi ils seraient abattus. “Treize bovins ont déjà été descendus et d’autres ont mystérieusement disparu”, explique Am Sam Ath, enquêteur de la Licadho qui se rend souvent sur place. Sin Mèn, une jeune femme dont la maison se trouve à la lisière du terrain, explique que les militaires n’arrêtent pas de patrouiller sur le champ : “Souvent j’entends des coups de feu. Je suis certaine qu’ils tuent nos bêtes”, se lamente-t-elle. Dans cette ambiance délétère, cette femme a du mal à faire le deuil du terrain de deux hectares qui lui a été retiré et qui semble la narguer chaque fois qu’elle lorgne du côté de l’immense terrain vague qui lui sert de nouveau paysage. “Personne n’ose pénétrer sur le champ. Ils sont méchants. Ils nous menacent tout le temps. Mais moi, je ne veux pas y aller, rien que de le voir, ça me fait mal...”, glisse-t-elle avant d’éclater en sanglots.
Il n’est qu’à se présenter devant un des gardiens de Koh Kong Sugar Industry pour comprendre le calvaire que vivent ces villageois. “Vous ne pouvez aller plus loin ni prendre de photos. Ordre de la compagnie”, maugréé un vieux militaire, son AK47 planté à ses pieds. “Et ne croyez pas les villageois, ils vous mentent. Nous n’avons jamais tué un bœuf, ils racontent n’importe quoi”.
“Pire que sous Pol Pot”
Les villageois ont déposé deux plaintes contre la compagnie : l’une pour dénoncer l’abattage de leurs bêtes et en trouver les responsables, l’autre pour contester la légalité de la concession accordée par le ministère de l’Agriculture pour “développer le pays et augmenter le niveau de vie des habitants”. La première n’a encore débouché sur rien, tandis que la deuxième doit donner lieu prochainement à des convocations. “La compagnie ne tue pas directement les habitants, mais sans cette terre, ils vont mourir de faim”, résume Am Sam Ath.
Un terrible constat confirmé par une vieille dame d’un des villages du coin : “Mes deux buffles ont disparu il y a deux mois. Je ne peux même plus travailler la rizière. Déjà qu’en perdant ce champ j’étais dans la misère... Notre société est encore pire que sous Pol Pot. Aucun de mes ancêtres n’a jamais connu ça!”, explose-t-elle. “Ils ont pris mon champ de 5 hectares, tué mes deux buffles sans même me laisser leur cadavre. Comment puis-je survivre?”, s’énerve à son tour Mok Chey, un voisin.
“Vous voyez ces horribles cicatrices sur mes pieds, c’est un souvenir des mines qui jonchaient ce terrain. Avant, ici, c’était une forêt. J’ai passé ma vie pour en faire un champ, et aujourd’hui, tout est fini. Plus de temps, plus d’espoir...”, explique Phat, qui a perdu 24 hectares dans l’affaire et gagnait trois millions de riels tous les deux mois grâce aux fruits qu’il y faisait pousser. “Nous avons besoin de ces champs, car nos rizières, en bas du village, sont inondées à chaque saison des pluies. L’eau monte jusqu’à la poitrine”, intervient Ann Haya, représentant des villageois.
Ly Yong Phat n’a pu être contacté hier, mais il a déclaré par le passé qu’il ne faisait que respecter le contrat de cette concession. Il avait même accusé les ONG et l’opposition d’avoir aiguisé le mécontentement des villageois. “Nos compagnies sont légales. Si on faisait tout ce que disent les ONG et l’opposition, les sociétés privées fermeraient immédiatement leurs portes”, avait-il argumenté.
Selon l’enquêteur de la Licadho, la compagnie est loin d’avoir respecté la loi. “Ils ont commencé à défricher un mois avant le début du contrat, et ne tiennent pas compte du sous-décret qui prévoit que les concessions doivent éviter de s’implanter sur des terrains dont vivent légalement des habitants”, explique-t-il. Ben Samoul, vice-gouverneur de Koh Kong, promet que des négociations auront lieu dès que le nouveau Conseil communal aura pris ses fonctions. “En réalité, nous avons déjà dédommagé 30 familles, les autres essaient de nous abuser en se faisant passer pour des propriétaires. C’est difficile à gérer. Quant au problème de l’abattage des bœufs, nous allons demander à la compagnie de dédommager les villageois”, assure-t-il avant de promettre que des bouts de terrain seront rétrocédés à des habitants pour les dédommager. Des promesses bien creuses pour Chhit Minea, avocat du Clec (Centre d’éducation légale pour la communauté), qui rappelle que ni le mouvement de protestation des habitants l’an dernier ni les plaintes déposées n’ont suscité la moindre réaction du gouvernement ou des tribunaux.
Ung Chansophea
CS 26-04-2007
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