lundi 26 novembre 2007

Recherche plaignants désespérément

Plus d'un an après le début du processus de jugement des crimes des Khmers rouges, les survivants hésitent encore à déposer plainte. La complexité des procédures et l'envie d'oublier n'y sont pas étrangères.
Des policiers montent la garde devant le tribunel d'exception, à Phnom Penh le 19 septembre
AFP
Le constat est affligeant à maints égards. Un an et demi après le début d'un long processus judiciaire devant permettre in fine aux survivants du régime khmer rouge de voir comparaître, devant un tribunal d'exception, les responsables des atrocités commises entre 1975 et 1979, les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC) ont échoué à impliquer la société civile dans leur projet. Il a en effet fallu attendre le 5 octobre 2007 pour que les CETC mettent enfin à la disposition du public un formulaire devant permettre aux victimes de déposer une plainte ou de se constituer partie civile dans ce procès historique.
Un geste jugé "tardif" par les organi­sations non gouvernementales, qui, pour beaucoup d'entre elles, décrient également "la complexité et le caractère dissuasif des procédures établies par les CETC". Lor Chunthy, directeur adjoint de l'ONG Legal Aid for Cambo­dia, estime qu'il revient désormais au monde associatif d'aider les victimes à s'impliquer dans le processus. "Mais comment faire quand on sait que l'Unité des victimes, sorte de chambre d'enregistrement des plaintes au sein du CETC, n'est toujours pas opérationnelle ?" s'interroge-t-il. Selon le document délivré par les CETC, les victimes des Khmers rouges doivent constituer un dossier comprenant, entre autres, un témoignage et des références juridiques pertinentes. "Même pour nous qui sommes pourtant avocats, la procédure est un peu compliquée à mettre en place. Alors, imaginez les difficultés d'un citoyen n'ayant aucune connaissance en la matière…", explique Lor Chunthy.

200 plaintes ont été reçues par les coprocureurs

Malgré la volonté de certains sur­vivants du régime khmer rouge de porter plainte en leur nom propre, Hisham Mousar de l'association de défense des droits de l'homme ADHOC, estime plus judicieux que les plaignants déposent des plaintes collectives… L'expert en droit avance trois raisons pour justifier ce choix : la sécurité des témoins, la rigueur des témoignages (qui de­vront être vérifiés) et, enfin, la rédaction du document judiciaire. Quant aux CETC, Hisham Mousar estime qu'elles n'ont guère fait d'efforts pour sensibiliser la société civile cambodgienne. "Les droits des victimes ne sont mentionnés nulle part. Ni sur les brochures imprimées par les CETC, ni même dans les émissions diffusées à la radio ou à la télévision. Comment dans ces conditions les victimes peuvent-elles se tenir au courant de l'avancée du processus et éventuellement y participer ?" s'interroge l'expert.
Porte-parole des CETC, Reach Sambath s'inscrit en faux contre cette allégation. Les plaignants ont, selon lui, la possibilité d'envoyer leurs dossiers par la poste au tribunal, à Phnom Penh, mais aussi par l'en­tremise des ONG. "Nous en avons déjà reçu un certain nombre en provenance de France ou des Etats-Unis", explique-t-il. Si la mise en ligne sur le site Internet (www.eccc.gov.kh) des CETC du formulaire expliquant aux survivants comment faire pour déposer plainte ou se constituer partie civile s'est avérée utile au-delà des frontières, il est permis de s'inter­roger sur la pertinence de ce support pour sensibiliser des victimes des Khmers rouges résidant dans un pays pauvre où bon nombre de localités ne sont même pas reliées au réseau de distribution électrique. Depuis le début du processus judiciaire, 200 actions en justice seulement ont atterri sur les bureaux des coprocureurs des Chambres… Un bureau des plaignants devrait être ouvert, mais aucune date n'a encore été fixée.
"J'ai été emprisonné par les Khmers rouges pendant quatre mois et vingt jours après avoir été accusé de vol. J'ai été menotté, privé de nourriture et torturé. Mais les responsables de ces actes sont tous décédés ou presque. Alors, expliquez-moi comment obtenir réparation", lance, pour sa part, Say Soth, un vieux paysan du district de Krakor dans le nord-ouest du pays. Assise sous sa maisonnette sur pilotis, la voisine de Say Soth n'a aucune intention de réclamer justice… Le visage marqué par les préoccupations quotidiennes, cette femme aurait pourtant toutes les raisons de porter plainte. "Dans notre famille, ce fut l'hécatombe. En tout, ce sont quarante membres de ma famille qui ont été exécutés ou emprisonnés. Ils n'ont jamais plus donné signe de vie. Tout cela, c'est le passé. Je ne veux plus jamais y repenser… Jamais."
Kong Sothanarith
Cambodge Soir Hebdo

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