par Pascal Ory
Lire, septembre 2007
Lendemains de cendres
Sera
DELCOURT
128 pages.
Mirages.
Prix : 14,95 FF / 2 Euros.
Séra fait partie de ces jeunes auteurs de la bande dessinée française dont les origines culturelles, très différentes de la tradition franco-belge (il est né et a grandi au Cambodge jusqu'à l'âge de quatorze ans), inspirent des oeuvres saisissantes par leur force graphique et, ici, philosophique. Après L'eau et la terre, qui parlait du drame cambodgien au temps des Khmers rouges, ce nouvel album plonge dans l'horreur poisseuse de la fin du régime, acculé à la défensive par l'offensive (faut-il dire: «l'invasion»?) vietnamienne de 1978. Une préface de Bernard Kouchner, très impliqué à l'époque dans le secours aux «boat people», rappelle le cadre politique général et revient sur la remontée du Mékong à bord de L'Ile de lumière et la découverte saisissante de Phnom Penh, capitale fantôme, ainsi que de ses salles de classe transformées en salles de torture.
L'album parle du destin d'un couple, celui de Nhek, le garçon, et de Chantrea, la jeune fille, dont la survie, comme celle de tous les Cambodgiens de ce moment-là, tient du miracle. Chantrea veut dire «Lune». La lune, à vrai dire, ne brille guère sur le malheur khmer. Les images de Séra baignent dans une atmosphère opaque, ruisselante de pluie, où jour et nuit se confondent dans une même pénombre, parfois trouée de visions infernales, celles que suscite chez Nhek l'image de son frère, responsable khmer rouge liquidé par ses propres camarades. Des figures croisent le chemin du couple, comme ce bonze sous son parapluie, pour qui la catastrophe présente n'est que la fin d'un «cycle désastreux», après et avant d'autres cycles. La vie est au bout de leur odyssée, et l'ouvrage s'achève, de manière presque bizarre mais émouvante, par une suite de dessins exécutés par l'auteur en 1993, lors de son premier retour au pays. Il est aussi ponctué de citations empruntées suivant le cas aux stèles d'Angkor ou aux directives de Pol Pot: tout un symbole, celui d'un drame mais aussi de la capacité d'un peuple, inscrit dans l'Histoire pour un cas extrême d'autogénocide, de renaître, comme une fleur de lotus après l'orage.

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