La Presse
Parachuté aux États-Unis en avril 1975 grâce à l'opération Babylift, un petit orphelin de la guerre du Cambodge allait démontrer de stupéfiantes capacités dans une foule de domaines. Il ferait d'ailleurs de très brillantes études au pays de l'oncle Sam, avant de - fin du conte de fées - devenir chanteur-mendiant à Montréal, puis d'être accusé d'avoir incité ses enfants à se suicider. Récit d'un étrange parcours de vie.
Cet orphelin cambodgien a maintenant 41 ans, selon des documents officiels. En réalité, il serait né en 1961 et aurait donc 46 ans. Ce n'est pas l'unique zone d'ombre dans l'histoire de celui que nous appellerons Combo afin de protéger l'identité de ses enfants, comme l'a ordonné le tribunal.
Combo a-t-il vraiment une vingtaine de fragments d'obus dans le crâne, comme un médecin le lui aurait affirmé? A-t-il joué du violoncelle dans un orchestre symphonique aux États-Unis? Même celle qui a partagé sa vie pendant 13 ans au Canada et qui a eu trois enfants avec lui ne sait plus ce qui est vrai ou faux.
Ce qui est sûr, c'est le procès de Combo, qui s'est conclu en trois jours la semaine dernière. Le jury l'a acquitté de l'accusation la plus grave, celle d'incitation au suicide. Mais il l'a reconnu coupable de voies de fait sur deux de ses trois enfants. Il appert que celui qui avait été sauvé in extremis d'un régime tyrannique en 1975 était devenu un véritable Pol Pot pour ses propres rejetons.
Combo soutient que lui-même a été élevé de façon stricte au Cambodge, dans une famille très aisée. Chaque matin, debout bien droit devant son père, il devait réciter ses multiplications et ses règles de grammaire, de façon «rapide et claire». Le paternel, chanteur et animateur de télé, exigeait l'excellence. Puis, la guerre du Vietnam a débordé au Cambodge. Le père de Combo aurait été assassiné, comme beaucoup d'intellectuels à cette époque. La famille au complet aurait été décimée, sauf Combo lui-même. Blessé à la tête, l'enfant aurait survécu en cirant les chaussures des militaires à Phnom Penh, jusqu'à ce jour d'avril 1975, où il a pu embarquer dans un avion américain à destination des États-Unis. Bien lui en prit, car les Khmers rouges se sont emparés de la capitale quelques jours après son départ.
«Il n'y a pas de bombes ici»
«J'aime ça, ici, il n'y a pas de bombes ni de soldats dans les rues», racontait le petit Combo dans un article paru en avril 1975 dans le Washington Post. Cet article racontait l'arrivée de 28 enfants aux États-Unis, en provenance du Cambodge, grâce à ce pont aérien qu'était Babylift. On voyait même Combo sur une photo, tout souriant avec une guitare que sa famille d'accueil lui avait offerte. Malgré un séjour malheureux dans sa seconde famille, qui l'aurait adopté, il aurait fait de brillantes études universitaires en littérature ainsi qu'en musique.
En 1990, la vie de Combo change du tout au tout encore une fois. Lors d'une virée à Montréal avec des amis, il rencontre une jeune femme de qui il tombe amoureux. Il abandonne tous ses projets et reste à Montréal. Le couple a un premier enfant en 1991, un deuxième en 1994 et un autre en 2000. N'ayant pas de statut au Canada et ne faisant manifestement rien pour en obtenir un, Combo ne travaille pas. Il s'improvise professeur à la maison pendant que sa femme travaille. Avant même d'aller à l'école, les enfants doivent apprendre les mathématiques et la lecture. Combo leur interdit la télé et l'ordinateur, et les jouets n'entrent pas dans la maison. Quand ils ne réussissent pas parfaitement, Combo tempête, menace et frappe. Au procès, les enfants ont raconté que, lorsqu'ils faisaient quelque chose qui lui déplaisait, Combo leur disait de se pendre ou de se jeter du haut d'un viaduc sur le boulevard Décarie.
La vie avec Combo n'a plus rien de drôle. Les enfants sont malheureux, le frigo est vide, les loyers impayés s'accumulent, la famille risque encore une fois l'expulsion. Combo dépense les maigres revenus du ménage au casino, principalement aux tables de baccara. Champion aux échecs, il pense déjouer le sort avec ses savants calculs de probabilités.
Madame le quitte en juin 2003 pour se réfugier avec les enfants dans une maison pour femmes en difficulté. Elle obtient la garde des petits, Combo est accusé. Il devient presque sans abri et s'installe rue Mont-Royal pour jouer de la guitare contre quelques pièces que les passants lui donnent. Certains engagent la conversation avec lui et sont frappés par ses connaissances. Un jeune écrivain français, Guillaume Sire, écrit la biographie romancée de sa vie, une équipe d'étudiants en cinéma entreprend de tourner un documentaire sur lui.
Parallèlement, la cause de Combo traînera pendant quatre ans, notamment parce qu'il n'a pas d'argent et pas d'avocat. Comme il n'est pas citoyen canadien, il n'a pas droit à l'aide juridique. C'est le juge Jean-Guy Boilard qui remettra finalement le moteur en marche, en ordonnant que le gouvernement fournisse un avocat à Combo. L'accusé est condamné pour voies de fait, et le juge Réjean Paul lui impose six mois de prison.
Quand il aura fini de purger sa peine, Combo sera pris en charge par l'Immigration. Il a vécu au Canada pendant 17 ans en toute illégalité. En 1995, madame l'a épousé. «Je l'ai fait pour qu'il obtienne sa citoyenneté, mais il n'a jamais demandé ses papiers. Je ne veux pas qu'on le prenne pour une victime. Ce sont mes enfants, les victimes. Lui, il a eu toutes les chances, il est allé dans les meilleures écoles», a-t-elle dit à La Presse.
Dominique McNeilly, porte-parole de l'Agence des services frontaliers du Canada, a indiqué qu'il ne pouvait rien dévoiler du dossier de Combo. «De façon générale, lorsque quelqu'un sans statut est reconnu coupable d'une infraction criminelle, c'est amplement suffisant pour qu'il soit expulsé du pays. Mais c'est du cas par cas.»
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