lundi 21 mai 2007

Le problème du foncier est géré au Cambodge à coup de bulldozer !

Le problème du foncier est géré au Cambodge à coup de bulldozer !

Tieng Khov s'accroche aux restes de la récolte de l'an dernier pour nourrir sa famille pendant encore quelques semaines. Après, plus rien! Les bulldozers ont eu raison des champs de riz et du verger de cet homme de 46 ans, fatigué et en colère.
Comme des centaines d'autres villageois de cette communauté du sud-ouest du Cambodge, Tieng Khov a brusquement perdu ses 17 hectares de terres lorsque la compagnie sucrière Koh Kong s'y est implantée à la faveur d'une "concession économique foncière" accordée par les autorités dans le cadre d'une politique visant à améliorer les rendements et à dynamiser les exportations.


Des policiers armés gardent désormais le périmètre de la nouvelle propriété qui totalise 9.700 hectares. Un fossé a été creusé autour. "Ils ont menacé les gens et ont volé la terre", affirme le paysan. Ces "saisies", qui se sont multipliées depuis une dizaine d'années avec le développement rapide du Cambodge, concernent en fait des dizaines de milliers de personnes, pour la plupart des fermiers déshérités et des habitants de bidonvilles n'ayant aucun moyen de pression politique, affirment leurs défenseurs. Seul un petit nombre de personnes "dépossédées" a été dédommagé et ceux qui ont touché de l'argent n'ont pas été payés au prix du marché, ajoutent-ils.
"Pratiquement aucune concession économique foncière n'a été précédée de consultations avec les habitants", déclare un avocat de l'ONG Community Legal Education Centre (CLEC) sous couvert de l'anonymat. "Les saisies augmentent quotidiennement avec leur lot d'expulsions et de conflits entre pauvres et riches qui prennent leurs terres". De nombreux titres de propriétés ont été détruits sous le régime ultra-maoïste des Khmers rouges (1975-1979) qui avait vidé les villes au profit des campagnes et imposé le travail forcé à grande échelle dans des fermes collectives. Dans le chaos ayant suivi la chute des Khmers rouges, de nombreuses personnes sont restées là où elles se trouvaient et ont occupé les terrains disponibles.

Une loi datant de 2001 permet aux individus de conserver une terre sur laquelle ils ont travaillé pendant cinq ans, mais rares sont ceux qui détiennent tous les documents requis. "Le gouvernement a créé de nombreuses institutions pour résoudre ces problèmes. Aucune d'elles ne fonctionne", explique l'avocat du CLEC. Certaines personnes ont engagé des actions en justice, mais sans grand résultat. "Les tribunaux sont très corrompus", affirme Tieng Khov. Lorsque les bulldozers de Koh Kong sont entrés en action, les villageois ont manifesté. "J'ai reçu la visite d'hommes armés qui m'ont conseillé de vendre", raconte Sim Men.
Depuis, les bêtes s'aventurant sur les terrains de la compagnie sont abattues et leurs propriétaires obligés de payer des amendes allant jusqu'à 100 dollars pour "l'infraction", ajoute cette femme de 25 ans, assise près du fossé la séparant désormais de son ancienne ferme. L'année dernière, des gardes ont ouvert le feu sur des villageois qui ont tenté d'arrêter les bulldozers, blessant plusieurs personnes aux jambes, précise Tieng Khov.

"Je ne sais pas pourquoi ils ont tiré", admet le sénateur Ly Yong Phat qui possède l'entreprise sucrière. Il souligne qu'une commission a été créée pour examiner les plaintes mais "nous ne pouvons pas restituer la terre". Ailleurs, les conflits fonciers ont pris parfois une tournure plus violente. L'éviction de milliers de personnes d'un bidonville de la capitale Phnom Penh a provoqué des émeutes en juin dernier et une épreuve de force dans la localité de Poipet (nord-ouest) a abouti à la mort d'au moins six personnes en 2005. Plus de 100 conflits de ce type ont été recensés par des ONG pour la seule année 2006.
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Rédactrice en chef: Anne IMBERT / Contactez la rédaction

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